Cass. 2e civ., 25 septembre, n° …
Faute inexcusable – Suicide – Risques psychosociaux – Conscience du danger – Obligation de sécurité
Par un arrêt du 25 septembre, la Cour de cassation confirme et précise l’exigence pesant sur l’employeur quant à sa connaissance – effective ou présumée – des risques psychosociaux (RPS) auxquels un salarié se trouve exposé. Elle juge en effet que l’employeur, informé de l’existence de tels risques au sein de l’entreprise, avait ou aurait dû avoir conscience du danger particulier qui pesait sur une salariée qui s’est suicidée peu après son licenciement.
1. Contexte factuel et juridique
Le suicide de la salariée ayant été reconnu comme accident du travail, les ayants droit ont sollicité la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. Ils se fondaient principalement sur deux séries d’éléments :
- Le médecin du travail avait alerté l’employeur du mal-être de plusieurs salariés et de l’altération de la santé de certains d’entre eux, rappelant expressément les obligations légales en matière d’évaluation et de prévention des RPS.
- La victime avait, quelques mois avant son décès, adressé un courrier relatant ses difficultés professionnelles, le stress quotidien auquel elle était exposée et l’arrêt de travail pour maladie qui en résultait.
Pour les demandeurs, ces éléments caractérisaient la conscience du danger par l’employeur et son abstention fautive à prendre les mesures nécessaires de prévention.
2. Rejet initial par la cour d’appel : absence de conscience du risque individuel
La cour d’appel avait estimé que, bien que l’employeur ait manqué à son obligation de sécurité, les ayants droit n’établissaient pas qu’il avait ou aurait dû avoir conscience du risque spécifique encouru par la salariée.
Les juges reconnaissaient une dégradation généralisée des conditions de travail due aux pratiques managériales du dirigeant et relevaient que la salariée, particulièrement investie, n’avait supporté ni ces conditions ni les motifs de son licenciement.
Cependant, ils estimaient que :
- le médecin du travail n’avait pas mentionné expressément la situation individuelle de la salariée ;
- la lettre adressée par la victime ne permettait pas de révéler une fragilité psychologique particulière.
Ainsi, selon eux, l’employeur ne pouvait être réputé conscient du danger qui la menaçait personnellement.
3. Censure de la Cour de cassation : conscience présumée du danger en présence de RPS identifiés
La Haute juridiction casse l’arrêt d’appel, considérant que les informations transmises à l’employeur suffisaient pour caractériser la conscience du danger.
L’alerte sur l’existence de RPS avérés au sein de l’entreprise impliquait qu’il devait anticiper les risques auxquels la salariée pouvait être exposée.
L’affaire est donc renvoyée devant une autre cour d’appel.
Cette solution s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle exigeante quant à l’obligation de prévention, renforcée récemment par le ministère du Travail, lequel a rappelé la nécessité pour les employeurs de procéder à une évaluation effective des RPS dans le cadre de la prévention du suicide au travail.
4. Rappels jurisprudentiels antérieurs
La décision s’articule avec plusieurs arrêts rendus sur le même thème :
Faute inexcusable retenue
- Cass. 2e civ., 19 sept. 2013, n° 12-22.156
Le suicide est imputable à la faute inexcusable lorsque l’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour mettre fin aux difficultés rencontrées par le salarié : absence de formation, réaffectation tardive, absence de contrôle des horaires et du respect du repos quotidien.
Faute inexcusable écartée
- Cass. 2e civ., 18 juin 2015, n° 14-19.805
Pas de faute inexcusable en l’absence de tout signe d’alerte relatif à une dégradation des conditions de travail ou à une souffrance professionnelle, aucune surcharge n’étant établie et aucun problème managérial n’ayant été relevé. - Cass. 2e civ., 31 mai 2012, n° 11-18.614
Absence de faute inexcusable lorsque la tentative de suicide d’un salarié intervenant après la remise d’une convocation à entretien préalable n’est pas imputable à un comportement humiliant, violent ou vexatoire de l’employeur, et que la réaction du salarié – sans antécédents – n’était pas prévisible.






