Des élus de CSE sont régulièrement mis en cause voire condamnés en justice pour avoir détourné les moyens financiers du CSE. On entend alors parler de détournement de fonds, d’abus de confiance, de prison avec sursis, de recel. Comment s’y retrouver dans ces qualifications juridiques ? Quels indices doivent alerter les élus d’une mauvaise gestion financière du CSE ? Comment réagir si l’on soupçonne un élu ? Si l’on est soi-même mis en cause ? Comment fonctionne la constitution des infractions ? Petite excursion dans le droit pénal.
Décrypter des points de droit qui se posent au CSE, tel est l’objectif de ce rendez-vous régulier. Faisant fi du jargon, voici exposés en termes simples mais précis les méandres d’une question juridique. Vous ne verrez plus le droit comme un ennemi incompréhensible : le droit est un ami froid, mais sûr. Aujourd’hui, le point sur les condamnations que peut entraîner une mauvaise gestion financière du CSE.
En mars 2024, plusieurs élus du CSE de Randstad Inhouse Services ont fait l’objet de plaintes et d’une enquête préliminaire. On se souvient aussi de l’affaire de la Caisse centrale des activités sociales d’EDF, en 2014. En 2022, un trésorier de l’entreprise Arcoval était condamné à 3 ans de prison dont 2 avec sursis. Ces affaires étant courantes, il est utile de s’arrêter sur leurs arcanes juridiques. Comme souvent en droit, il faut partir des définitions juridiques pour en cerner les nuances et débroussailler le sujet.
Détournement de fonds et abus de confiance
Le détournement de fonds est une « atteinte aux droits d’autrui sur une chose ou sur des fonds, au besoin par une appropriation, en usant de la confiance donnée par autrui ». L’abus de confiance consiste dans le « fait par une personne de détourner au préjudice d’autrui des fonds, valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé ».
La différence entre les deux ? Le détournement de fonds est un fait brut : une personne s’est servie dans la caisse, un élu du CSE a détourné de l’argent de l’instance, à son profit ou pas. Devant les juges, ce fait trouve une qualification juridique : l’abus de confiance. Le fait de détournement entraine donc une condamnation pour abus de confiance, défini à l’article 314-1 du code pénal. La condamnation de l’élu du CSE aura ce texte pour fondement juridique. La matière juridique fonctionne en permanence avec cet aller-retour des faits au droit : des faits conduisent à une qualification juridique. Le juriste fonctionne donc un peu comme un médecin qui observe des symptômes (les faits) et pose un diagnostic (le droit).
Selon Bénédicte Rollin, avocate spécialiste des CSE au cabinet JDS, « les détournement des fonds du CSE reçoivent la qualification d’abus de confiance et non d’abus de bien social qui relève des sociétés (SARL, sociétés par actions). L’abus de confiance est par ailleurs plus large que le détournement au profit d’un élu : il vise aussi le non-respect de l’étanchéité entre les deux budgets du CSE (fonctionnement et activités sociales et culturelles) ainsi que l’usage de fonds sans autorisation (à savoir un vote à la majorité du CSE). Attention, l’enrichissement personnel ne constitue pas une condition de l’infraction en tant que telle : verser des fonds du CSE à d’autres personnes relève aussi de l’abus de confiance ». En l’occurrence, il s’agit de la confiance des salariés qui ont élu leurs représentants et de la confiance de l’employeur qui a fourni les budgets.
Le recel d’abus de confiance
Une condamnation pour détournement de fonds peut aussi évoquer un « recel d’abus de confiance ». Le recel consiste à dissimuler, détenir, transmettre directement ou indirectement une chose en sachant qu’elle provient d’un crime ou d’un délit, ou encore de bénéficier en connaissance de cause du produit d’un crime ou délit, ou enfin de soustraire à la justice des personnes responsables d’infraction » (article 321-1 du code pénal). On le voit, il y a dans le recel un aspect de profit personnel et de rétention des informations et/ou des objets du crime ou délit.
Le délit d’entrave
Le code pénal n’est pas le seul impliqué dans ces affaires : détourner des fonds peut aussi constituer devant un juge une entrave au fonctionnement du CSE, défini par l’article L.2317-1 du code du travail comme le fait d’apporter une entrave à la constitution, au fonctionnement régulier ou à la libre désignation des membres d’un CSE, d’un CSE d’établissement ou d’un CSE central. En détournant des fonds, les élus commettent aussi un dépassement de mandat si le règlement intérieur ne leur permettait pas d’agir au nom du CSE.
La constitution de l’infraction
Pour qu’une infraction puisse être retenue contre quiconque, le tribunal examine deux éléments : un élément matériel et un élément intentionnel. L’élément matériel, c’est le fait reproché : avoir détourné de l’argent. L’élément intentionnel, c’est l’intention de violer la loi, le fait de savoir que détourner des fonds est illégal. On voit ici la difficulté : pour établir l’élément matériel, on réunit des preuves, les relevés de banque par exemple. Prouver l’élément intentionnel est plus délicat car il est interne à la psychologie personne, et on ne peut entrer dans la tête de quelqu’un pour savoir s’il avait bien l’intention de violer la loi. S’inspirer des faits pour déterminer l’intention de l’accusé, c’est tout le travail des juges.
Bénédicte Rollin rappelle à cet égard que « les élus de CSE reçoivent des formations justement pour connaître les règles de gestion des budgets. Donc devant un juge, l’argument ‘je ne savais pas’ ne tient pas et les magistrats détestent cela car les élus ont volé l’argent des salariés et de l’employeur. Je vois encore parfois des élus honnêtes mais qui agissent sans mandat, sans avoir attendu le vote du CSE ».
Gare au règlement intérieur
L’avocate conseille aux élus de CSE de fixer les mandats et les montants dans le règlement intérieur : « La définition juridique de l’abus de confiance ne précise pas de montant. En théorie, un élu peut donc se rendre coupable pour un euro détourné. Il faut donc les définir dans le règlement intérieur en répartissant les mandats entre le trésorier et le secrétaire. Une double signature peut aussi être prévue, cela limite les risques. Les montants des dépenses peuvent être établis en proportion des budgets annuels ». L’avocate recommande également de prévoir une répartition des rôles : le secrétaire autorise la dépense, le trésorier effectue le paiement afin d’éviter toute tentation.
Par ailleurs, elle précise que « si le trésorier reste dans ses pouvoirs, il n’a pas de raison d’être mis en cause, ce sera alors le CSE comme personne morale. A condition de respecter son mandat, sa responsabilité personnelle ne sera pas engagée. Au-delà du trésorier et du secrétaire, n’importe quel élu détournant des fonds peut être condamné ».
Des élus de CSE en prison ?
En matière de peines, il faut distinguer ce que prévoient les textes et ce que décide le juge en fonction des faits reprochés : selon les montants et la durée des détournements, elles seront plus ou moins lourdes, surtout si le détournement a lieu au profit personnel de l’accusé. Voici les peines théoriques :
- Abus de confiance : cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende ;
- Recel : cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende ;
- Délit d’entrave : un an d’emprisonnement et 7 500 € d’amende.
Souvent, les auteurs des détournements sont condamnés à de la prison « avec sursis ». Cela signifie que la peine de prison est bien prononcée mais pas appliquée par mesure de clémence (souvent en raison d’un casier judiciaire vierge). Une sorte de seconde chance accordée à l’auteur des faits. En revanche, si le contrevenant est de nouveau traduit devant un juge dans les cinq ans de la première condamnation pour une infraction de même nature, alors la peine de prison avec sursis s’ajoutera à la nouvelle peine : le sursis tombe. En revanche, le juge peut prononcer une peine d’inéligibilité, une interdiction de toute fonction de gestion ou encore une confiscation de biens si l’élu a profité personnellement des fonds détournés.
Pas d’effet direct sur le mandat en cours
En tant que telle, la condamnation n’a pas d’effet direct sur le mandat. En théorie, ce dernier prend fin avec l’arrivée de son terme au bout de quatre ans. Les causes de cessation anticipée du mandat sont le décès, la démission, la révocation, la perte des conditions requises pour être éligible et la rupture du contrat de travail. En pratique, il est fort possible qu’un élu condamné démissionne de lui-même de ses fonctions ou soit révoqué. La révocation n’intervient que pour les élus, titulaires ou suppléants, qui sont par ailleurs syndiqués. Les élus issus d’une liste non syndicale ne peuvent pas être révoqués.
Repérer un détournement de fonds
Plusieurs indices peuvent interpeller les élus ou l’employeur :
- Une comptabilité bancale,
- Des comptes non transmis (en fin de mandat par exemple) ou non certifiés,
- Des décalages entre les comptes et la réalité,
- Des sommes trop faibles ou trop élevées au regard de la nature de la dépense,
- Des notes de frais sans justificatif,
- Des déplacements ou dépenses le dimanche ou les jours fériés ou pendant les vacances…
src M.A. GRIMONTL pour Editions Législatives