Télétravail : un « questions-réponses » publié par le ministère du Travail à nuancer

Le ministère du Travail a publié le 9 mai un « questions-réponses » sur le télétravail. De nombreuses réponses méritent quelques précisions ou soulèvent des interrogations.

Rappelons que le  télétravail est encadré par les articles L.1222-9 et suivants  du code du travail mais aussi par l’accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juillet 2005 (étendu par l’arrêté du 15 juin 2006). A défaut d’accord collectif sur le télétravail dans l’entreprise, les dispositions de cet ANI s’imposent toujours à  de nombreux employeurs.

Remarque : l’ANI du 19 juillet 2005 s’applique à l’ensemble des employeurs relevant d’une fédération adhérente de l’une des 3 organisations patronales (Medef, CGPME et UPA) signataires, sauf si un accord collectif d’entreprise sur le télétravail a été conclu. En effet, en raison de la primauté de l’accord d’entreprise sur les accords de branche et les ANI, un accord collectif peut déroger à l’ANI et l’écarter. 

Or, les réponses apportées par le ministère du travail ne distinguent pas selon le régime juridique applicable et ne se fondent a priori que sur les dispositions du code du travail.  Par ailleurs, les réponses ne tiennent pas toujours compte des obligations générales qui sont maintenues en cas de télétravail (obligation de protection de la santé du salarié, obligation de prise en charge des frais professionnels…). Il faut donc nuancer les réponses apportées en tenant compte de l’ANI du 19 juillet 2005 ainsi que les obligations générales pesant sur l’employeur.

QuestionsRéponses du ministère du TravailAttention !
Mon employeur peut -il m’imposer le télétravail ?Oui. L’article L. 1222-11 du Code du travail mentionne le risque épidémique comme pouvant justifier le recours au télétravail sans l’accord du salarié.
La mise en œuvre du télétravail dans ce cadre ne nécessite aucun formalisme particulier.
Si l’article L. 1222-11 permet d’imposer le télétravail en cas de crise sanitaire, il n’exonère pas l’employeur de son obligation de s’assurer que le salarié dispose des moyens techniques nécessaires et un environnement adapté (ordinateur, espace suffisant au domicile…). En revanche, il peut imposer le télétravail s’il était déjà mis en place par accord collectif ou charte puisque cette vérification a déjà été faite.
Même si le code du travail est muet sur le formalisme à respecter, en l’absence d’accord collectif ou de charte sur le télétravail, il est toutefois conseillé, pour éviter tout malentendu source de contentieux, d’adresser à chaque salarié concerné une note expliquant précisément les raisons et les modalités de recours au télétravail.
Mon employeur peut-il me refuser le télétravail ?Oui. Si votre employeur estime que les conditions de reprise d’activité sont conformes aux consignes sanitaires sur votre lieu de travail. Dans tous les cas, votre employeur doit motiver le refus… Il doit démontrer que la présence sur le lieu de travail est indispensable au fonctionnement de l’activitéL’employeur ne peut pas refuser le télétravail au salarié et imposer sa présence sur le lieu du travail, y compris si les consignes sanitaires sont respectées :
en présence d’un accord collectif ou d’une charte, si le salarié remplit les conditions prévues par cet accord ou cette charte pour les jours de télétravail prévus (hors cas de refus prévus par ce texte) ;
si le salarié doit garder son enfant de moins de 16 ans ou handicapé, en raison de la fermeture de son établissement scolaire ou d’accueil dès lors que le télétravail est possible. A défaut, il sera placé en activité partielle ;
si le salarié est une personne « vulnérable » dès lors que le télétravail est possible. A défaut, il sera placé en activité partielle.
Dois-je contractualiser mon télétravail ?Non. Le recours au télétravail ne requiert pas d’avenant au contrat de travail, qu’il soit exercé dans des circonstances normales ou dans des circonstances exceptionnelles telles que celles en cours actuellement.En l’absence de charte ou d’accord collectif, il faut l’accord écrit du salarié en période normale (C. trav., art. L. 1222-9) et selon l’ANI du 19 juillet 2005, un avenant au contrat. En période exceptionnelle, rien n’est prévu mais, pour éviter des contentieux ultérieurs, il est fortement recommandé d’envoyer une information à chaque salarié présentant la durée et les modalités du télétravail.
Puis-je alterner télétravail et activité partielle?Oui. L’employeur détermine la quotité de travail pouvant être exercée en télétravail et sa répartition le cas échéant si les salariés doivent alterner télétravail et activité partielle.L’inspection du travail est susceptible de vérifier si cette alternance ne cache pas une fraude à l’activité partielle. Les jours d’activité partielle doivent réellement correspondre à des jours chômés liés à la baisse d’activité de tout ou partie de l’établissement.
Mon employeur doit -il m’indemniser ?L’employeur n’est pas tenu de verser à son salarié une indemnité de télétravail destinée à lui rembourser les frais découlant du télétravail, sauf si l’entreprise est dotée d’un accord ou d’une charte qui la prévoit. Les droits habituels en matière de restauration sont maintenus (tickets restaurant, primes de repas…)Même en l’absence d’accord collectif ou de charte, le principe dégagé par la jurisprudence selon lequel « les frais professionnels doivent être supportés par l’employeur » reste applicable (Cass. soc., 6 nov. 2013, n° 12-21877) ; ce n’est pas au salarié de les prendre en charge même si le code du travail est muet sur ce point. Il est également possible de s’appuyer sur l’article 7 de l’ANi du 19 juillet 2005.
La prise en charge des frais (achat de matériel informatique…) peut s’effectuer sur la base des frais réels, sur présentation d’une facture des frais engagés par le salarié. Elle peut aussi se faire par le versement d’une allocation forfaitaire : une tolérance de l’Urssaf admet l’exonération de cette allocation à hauteur de 10 euros par mois pour un jour de télétravail (50 euros pour 5 jours).
Dois-je garantir à mon employeur un espace de travail dédié pour télétravailler (superficie, bureau…) ?Non. Sauf accord ou charte d’entreprise le précisant, aucune prescription n’est édictée par le code du travail quant à la configuration du lieu où le travail est exercé en télétravail. Toutefois, votre employeur peut prendre en compte les situations propres à chaque salarié pour organiser l’activité en tout ou partie en télétravail ou pour vous demander de reprendre votre poste dans les locaux de l’entreprise.Même si le code du travail est muet sur l’espace de travail nécessaire au télétravail, il relève de l’obligation de l’employeur de s’assurer que les conditions de travail de ses salariés sont adaptées. Elle relève de l’obligation générale de sécurité et de protection de la santé du salarié (C. trav., art. L. 4121-1). C ‘est ce que précise également l’article 7 de l’ANI du 19 juillet 2005.
Si ce n’est pas le cas, à notre avis, le télétravail, surtout sur une longue durée, ne peut pas être imposé y compris en période de crise sanitaire. Si le retour dans l’entreprise est impossible, une demande de placement d’activité partielle pourrait être envisagée mais en respectant la procédure et les conditions prévues par l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020.

src Nathalie Lebreton, Dictionnaire permanent Social