Injonction à l’urgence et tendance au ralentissement

Dossiers qui s’accumulent, mails à traiter toutes les 30 minutes, délais toujours plus serrés, sentiment que l’urgence est devenue le mode de travail permanent …

Si ces lignes vous parlent, il y a fort à parier que, comme de nombreux actifs, vous soyez pris dans le tourbillon professionnel de la surcharge. Un mode « urgence » qui dure et un épuisement professionnel qui guette. Et si nous apprenions à ralentir ?

Quand trop travailler est devenu la norme

Combien de personnes, parmi vos proches, ont la sensation de trop travailler ?
Combien parmi vos collègues se sentent fatigués, voire épuisés ?

La sensation d’être dans l’urgence, de ne pas avoir une minute pour souffler, est désormais monnaie courante dans les entreprises.

Plus inquiétant encore : dans cette réalité où l’objectif de « bien faire » a Iaissé sa place à celui de « [toujours] mieux faire », il semble que le stress permanent soit devenu la norme. On plaisante entre collègues du fait d’être toujours « sous l’eau » en critiquant au passage celui ou celle qui ose partir avant 18h30. On valorise son niveau de fatigue comme un marqueur de sa qualité professionnelle et de son engagement. Et on est remercié pour cela, naturellement.

Une tendance à normaliser la surcharge de travail qui semble s’être accentuée depuis le début de la crise sanitaire. Les confinements à répétition, suivis d’une reprise intense, ont alimenté une surcharge permanente dont les conséquences sont désormais visibles. Selon le dernier baromètre du cabinet Empreinte humaine (paru en octobre 2021), ce sont 2,5 millions d’actifs qui vivent actuellement un burn-out, soit près de trois fois plus qu’en mai 2020. Des chiffres qui font froid dans le dos, et mettent en avant la nécessité de repenser notre rapport au travail.

… certains commencent à ralentir

Si la tendance à l’urgence permanente semble s’être généralisée, certains ont, quant à eux, choisi de prendre le contre-pied. Exit les journées à rallonge, les réunions qui n’en finissent plus, les semaines qui ne semblent être que de longs tunnels dont le week-end peine à nous faire émerger. De plus en plus d’actifs prônent la tendance inverse : le dé-travail. Comprendre ici : remettre en avant la qualité (et non la quantité) du travail comme marqueur d’efficacité, rééquilibrer les sphères de vie pour gagner en bien-être et en sérénité. Un mode de vie qui, paradoxalement, a également profité de la crise sanitaire et de la liberté permise par le télétravail.

Certains actifs développent en effet des stratégies de résistance à l’urgence ambiante. Des stratégies qui passent tout d’abord par la communication : ouvrir le débat au sein de son équipe et avec son manager pour mieux répartir la charge de travail et prioriser constructivement les actions, exposer la surcharge de travail comme un problème à résoudre et non comme une fatalité pour développer des solutions de réduction de la charge. Des stratégies qui passent également par la ritualisation : se forcer à prendre des pauses, mettre en place des activités qui forcent à couper, s’obliger à quitter le bureau avant de se sentir épuisé, etc.

Autant de comportements bénéfiques … mais pas toujours simples à assumer tant ils vont à l’encontre de l’attitude majoritaire.

Dé-travailler: un comportement contre-normatif

Une norme, c’est un comportement ou une opinion qull est bien vu d’adopter. Se conformer à la norme permet de se sentir accepté et intégré. C’est aujourd’hui le cas de l’urgence permanente et de l’épuisement professionnel. Parce qu’elle concerne une majorité d’actifs, parce qu’elle est aujourd’hui valorisée au sein de nombreuses entreprises, la surcharge de travail s’affiche désormais fièrement. Difficile, dans ces circonstances, de ne pas se conformer. Aller contre la norme, c’est courir le risque de ne plus être totalement accepté, ou de voir son image professionnelle modifiée. Alors parfois, quand vraiment la fatigue est trop forte, on s’excuse, on se justifie, on se cache même, pour souffler un peu.

Saviez-vous cependant que c’est par l’anti-conformisme que sont nés les plus grands changements sociétaux (les psychologues sociaux parlent d’influence minoritaire) ? Selon Serge Moscovici, l’un des plus éminents chercheurs en psychologie sociale, « le grand tournant est le passage de la déviance à la minorité active ». Autrement dit : ne plus s’excuser d’avoir envie de travailler différemment mais, au contraire, rendre visible son opinion, parler, échanger, argumenter. Chahuter les convictions existantes ou, au contraire, renforcer et soutenir des opinions qui n’osent pas encore s’exprimer.

L’enjeu n’est pas tant d’imposer sa vision des choses que de créer le débat, de mettre en question ce qui semblait, jusqu’alors, relever de l’évidence.

Sources :
Empreinte Humaine. (2021). Infographie baromètre T8 Empreinte Humaine. Disponible en ligne: https://empreintehumaine.com/barometre-t8/
Moscovici, S., Mugny G., & Pérez, 1. A. (1985). Les effets pervers du déni (par la majorité) des opinions d’une minorité.
Bulletin de psychologie
MugnY. G., & Papastamou, S. (1977). Pour une nouvelle approche de l’influence minoritaire : les déterminants psychosociaux des stratégies d’influence minoritaires. Bulletin de Psychologie, 30(328), 573-579

Suzman, 1. (2021). Travailler. La grande a[faire de l’humanité. Flammarion