Le suicide d’un salarié à son domicile et hors temps de travail peut constituer un accident du travail

Le suicide d’un salarié à son domicile qui intervient, dans un contexte de dégradation des conditions de travail, le lendemain de l’annonce de la fermeture du site sur lequel il exerçait son activité constitue un accident du travail.

Délicate question que celle de savoir si le suicide ou la tentative de suicide d’un salarié à son domicile peut ou non être qualifié d’accident du travail.

En pratique, il n’y a pas, et il ne peut pas y avoir, de réponse toute faite car tout dépend des circonstances dans lesquelles l’événement a eu lieu. En effet, toute la question est de savoir si l’acte du salarié peut ou non être relié au travail, alors qu’il s’est produit au domicile, et hors temps de travail lorsque le salarié n’est plus sous l’autorité de son employeur.

Normalement, pour pouvoir être qualifié d’accident du travail, l’accident doit avoir lieu en cours d’exécution du contrat de travail, à un moment et dans un lieu où le salarié se trouve sous le contrôle et l’autorité de son employeur. Toutefois il existe une règle issue de la jurisprudence en vertu de laquelle un accident qui se produit, alors que le salarié ne se trouve plus sous la subordination de son employeur, constitue un accident du travail si l’intéressé ou ses ayants droit (conjoint, enfant, parents, etc.) établissent qu’il est survenu par le fait du travail (arrêt du 22 février 2007).

Ainsi, en cas de suicide ou de tentative de suicide, il faudra réussir à montrer que l’acte du salarié avait bien un lien avec le travail.

Un suicide qualifié en accident du travail

Le 23 janvier 2016, un salarié met fin à ses jours à son domicile. Après la déclaration d’accident du travail établie par sa veuve, la caisse primaire d’assurance maladie décide de prendre en charge l’acte fatal du salarié comme accident du travail.

L’employeur conteste cette décision car, pour lui, il n’existait aucun lien direct et certain entre le suicide et l’activité professionnelle. Il met notamment en avant le fait que la réunion organisée le 22 janvier 2016 pour informer le personnel de la fermeture de deux sites n’avait fait que confirmer ce que tous les salariés savaient déjà dans le cadre d’un projet de restructuration amorcé en 2014. De plus, suite à cette réunion, le salarié n’avait rien laissé paraître à l’annonce confirmée de ces mesures et « n’avait jamais rien laissé paraître de la détresse dans laquelle il se trouvait ».

Un point de vue que les juges ne partagent pas.

Pour eux, compte tenu des éléments de fait et de preuve qui leur avaient été présentés, la réunion du 22 janvier 2016 apparaissait « comme un élément déclencheur du passage à l’acte compte tenu de sa proximité chronologique avec le suicide du salarié survenu le lendemain », et de la confirmation, lors de cette réunion, de la décision définitive de fermeture du site sur lequel il exerçait son activité professionnelle ». Cette annonce était intervenue « à l’issue d’un long processus de réunion pendant lequel le salarié est demeuré dans l’incertitude quant à son avenir professionnel, ce qui l’a confronté à l’isolement et l’incompréhension ». A ajouter, « une dégradation des conditions de travail du salarié contraint à de nombreux déplacements, et la perspective d’une mutation dans une autre ville, qu’il ne pouvait envisager ». Ce salarié, « décrit par tous comme d’un naturel discret mais extrêmement investi dans son activité professionnelle », n’avait pas fait part de ses intentions à qui que ce soit et n’a au contraire rien laissé paraître de la détresse dans laquelle il se trouvait. Enfin, pour les juges, aucun élément ne permettait de relier le passage à l’acte à l’environnement personnel.

Conclusion : le suicide était « intervenu par le fait du travail », il constituait donc bien un accident du travail.

src F. AOUATE pour ActuelCE